La « krisi » est omniprésente, comme planante au dessus de tout. Le terme est au centre de toutes les conversations, c’est à la fois La cause des multiples bouleversements et des choix décisifs qu’il a fallu faire, mais c’est aussi Elle qui a impliqué une véritable réorganisation sociétale, recentrée sur le noyau familial. (P. Kiprianos)
« survivre en famille » : deux termes récurrents, prononcés par la plupart de nos interlocuteurs.
L’unité familiale est, d’après les témoignages, la base de l’organisation socio-économique.
ex: Fonctionnement de Copae ilis (répartition des membres de la famille, en fonction de leur compétence, sur les différents services, investissement dans le patrimoine existant valorisé pour diversifier les activités et créer de nouvelles sources de revenus…)
Témoignages et réactions de nos acteurs du territoire sur « la crise »
Pandelis Kiprianos (conseiller « éducation » auprès du Premier ministre)
Après plusieurs années de récession sévère (jusqu’à -7%!), la Grèce serait en train de s’en sortir (croissance positive, hausse de la consommation et des exportations, baisse du chômage).
2017 s’avère être la meilleure année depuis le début de la crise. L’inversion de la tendance se voit donc notamment avec les fameux chiffres du chômage (toujours faux mais toujours symptomatiques) . En 2015 ce taux s’élevait à environ 27% (45 % pour les jeunes!) et aujourd’hui il serait proche des 20 % (32% pour les jeunes). Pas de quoi se réjouir, les salaires restent très bas (entre 400 et 500 € en moyenne/mois) quant au SMIC légal (680€) il n’est jamais appliqué; enfin les charges et taxes, imposées par l’Union Européenne, assomment littéralement la population (la T.V.A s’élève à 24%). Pas de doute, la Grèce souffre encore.
Ainsi les Grecs assistent désolés à l’exode de leur jeunesse diplômée. Plus de 500 000 jeunes, médecins, ingénieurs, doctorants… se sont engouffrés dans ce brain drain vers d’autres pays européens, essentiellement en Allemagne, en Angleterre, en Suède ou encore en Suisse.
Pour tenter de garder ses cerveaux, le gouvernement a facilité l’accès aux bourses post-doctorales , mais face à la précarité générale, il est difficile de ne pas les comprendre (cf. parcours de Vassiliki, qui travaille au parc naturel national visité ).
Quelles sont les origines de la crise grecque selon-vous ?
Elles sont multiscalaires : l’échelle de l’Etat grec, celle de l’U.E. et enfin celle des mentalités, la crise idéologique.
– L’État : globalement beaucoup trop généreux et clientéliste pendant plus de 20 ans. Il a aujourd’hui augmenté les cotisations et les charges pour rembourser la dette, il lutte également contre le travail illégal.
– L’U.E. : problèmes liés à la volonté d’harmoniser des économies nationales très différentes au sein de la zone Euro.
L’arrivée de l’Euro ( 1€ = 340 drachmes) a provoqué la fermeture de très nombreuses sociétés grecques, beaucoup d’autres ont été délocalisées ou encore rachetées par des entreprises allemandes ou américaines.
L’effondrement du secteur productif a généré une tertiarisation logique de leur économie ainsi qu’un mouvement de retour vers les campagnes de populations urbaines sans emplois. Ils rentrent souvent chez les grands-parents, qui disposent d’un peu de terres et d’une petite retraite. La ville est donc plus durement touchée par la crise, et l’exode urbain est visible dans le paysage par la mise en cultures de terres laissées en friche.
– Une crise des valeurs. Trouver une voie, un sens, donner un cap. Selon M. Pandelis, le peuple grec manque d’objectif, d’orientation. Il est désorienté entre entre les discours nationalistes et ceux pro-européens. La droite, traditionnellement favorable à la construction de l’Europe économique, a changé de bord et nourrit son électorat de discours identitaires et nationalistes, pendant que la gauche s’accroche à l’idée d’une Europe qui réunit des peuples solidaires. Tout cela « cuisiné à la sauce des médias », fameux 4e pouvoir créateur d' »opinion publique ». Les chaînes publiques ont peu de moyens et ne font que peu d’audience ( moins de 10%).
La société est donc relativement divisée : beaucoup de gens sont ouverts, généreux et solidaires, d’autres ont peur et se replient sur eux mêmes.
Leila El Alaoui (fondatrice et directrice de COPAE ILLIS)
Lorsque survient la crise en 2009, la famille de Leila décide de mettre en commun toutes les ressources qu’ils possèdent (patrimoine, savoir-faire…). Forte d’ une expérience dans l’organisation de circuits touristiques, Leila décide de se lancer dans l’accueil de stagiaires européens. Dès 2010, elle reçoit en Grèce 13 directeurs de lycée professionnels et de MFR français, ainsi que des élus de la région Aquitaine. 2011 : les premiers jeunes arrivent, l’affaire est lancée. Actuellement, son réseau est impressionnant : des jeunes arrivent et partent dans dans toute l’UE.
La crise a provoqué une dynamique d’exode urbain. Des quartiers entiers se sont vidés de leurs habitants, ces derniers n’ayant plus les moyens d’assumer leur loyer. L’espace urbain est perçu comme moins accueillant, moins chaleureux que les campagnes où ils pensent pouvoir s’en sortir plus facilement. Les villes sont plus marquées par le phénomène de xénophobie. A l’instar du mouvement Aube Dorée. Ce dernier représente actuellement 7% de l’électorat grec. Leila en a très peur : ses partisans lui font penser au temps de la dictature avec leurs cranes rasés et leur coté paramilitaire particulièrement violent.
Notre discussion se poursuit sur des questions de société. Voici donc les éléments de contexte dont elle nous a fait part.
Concernant la crise migratoire : selon elle, les Grecs ont le sens de l’accueil car la Grèce a toujours été un territoire de passage et ils sont également marqués par les anciennes phases de déportations (Arméniens, Chypriotes, Grecs du sud…) menées par les Turcs pendant les 4 siècles d’occupation. La Grèce accueille d’autant plus que les Autrichiens ont fermé leurs frontières. Les Grecs accueillent et partagent le peu qu’ils ont, pendant que certaines ONG, elles, « s’en mettent plein les poches » sur le dos de toute cette misère. Des passeurs turcs font monter des réfugiés dans des embarcations de fortune, puis on leur donne un couteau pour que, le moment venu où ils s’approcheront des côtes grecques, ils percent le bateau pour pouvoir être « sauvés » et non pas renvoyés en Turquie.
Culture et traditions : Les Grecs seraient encore très attachés à leur Eglise orthodoxe. Cette dernière aurait permis à la culture grecque de perdurer, et ce même à travers l’importante diaspora grecque (nombreuse aux Etats-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande, Canada…). En effet, la mer ne fait pas peur aux grecs et beaucoup sont partis, notamment pendant la dictature.
L’Eglise orthodoxe prône l’entraide et la solidarité, ce qui explique en partie le devoir que se font les Grecs de secourir les réfugiés. L’Eglise n’est pas séparée de l’Etat : tous les popes sont fonctionnaires. Le bas clergé a le droit de se marier ; ils font même souvent beaucoup d’enfants. A l’image de Leila, les Grecs sont encore très croyants et relativement pratiquants. Tant qu’ils ne sont pas baptisés -cérémonie obligatoire et très chère-, les enfants s’appellent tous « bébé ». La tradition veut que les pères choisissent le prénom de leur enfant, ils nomment leur fils du prénom de leur père, assurant ainsi une certaine immortalité de la famille.
Le rapport des Grecs au temps est d’ailleurs très particulier, « la Grèce n’a pas connu la Renaissance » voir article de RAMFOS.
Les jeunes grecs prennent un peu leur distance avec l’Eglise mais sont toujours très attachés aux traditions, à travers la pratique régulière d’un certain folklore, danses et chants traditionnels (voir la photo des élèves qui dansent dans le lycée professionnel visité.)
Nondas (salarié de COPAE ILLIS)
Selon lui, il y a un sentiment de prise en otage des jeunes grecs : ils servent d’exemple et paient pour tout le monde. Ils aiment l’idée d’Europe mais cette dernière ne les aide pas.
Nicos Astapopoulos, ancien ingénieur, aujourd’hui à la retraite
Nous avons eu un discours assez différent sur les causes du malheur grec… Nicos s’est refusé à chercher quelconques raisons externes à la crise grecque et a volontairement rappelé les facteurs de difficulté qui lui semblent évidents:
–> Une désindustrialisation très précoce, liée à un manque de compétitivité. Il se focalise sur l’exemple de Patras, 3è ville du pays, qui a perdu des entreprises très importantes dès les années 1990.
–> l’absence de solutions alternatives et innovantes, une atonie générale face au changement.
–> l’absence de politique stratégique
–> une crise bancaire qui a freiné les possibilités d’investissement.
Il est intéressant d’observer que Nicos, plus âgé, ancien cadre, est de loin le plus pessimiste des acteurs grecs que nous avons rencontrés. C’est le seul à ne pas vouloir blâmer les politiques d’austérité dont il dit qu’elles sont indispensables et « méritées », mais c’est le seul qui nous avoue ne pas croire dans l’avenir de la Grèce.
M. Michalas (chef d’entreprise agricole)
Pour lui, aujourd’hui, la Grèce est « noire et blanche » ; il y a les riches et les pauvres. La classe moyenne disparait à petit feu, écrasée par les taxes. Pour « survivre » les Grecs peuvent cumuler jusqu’à cinq jobs différents en même temps, pendant que certains, de loin, les traitent de fainéants…