L’éducation en Grèce est sous la responsabilité du
Ministère de l’Education Nationale, de la Recherche et des Affaires Religieuses.
La formation hors système scolaire est, elle, coordonnée par le ministère du Travail et des affaires sociales. Face aux conséquences de la crise économique, comment se réorganise le système éducatif grec pour lutter contre le départ des jeunes générations à l’étranger?
Nous tenterons de répondre ici de manière partielle, principalement à travers les témoignages rencontrés. Une série de liens est mis à disposition pour compléter le sujet.
1. Le constat : une politique éducative longtemps problématique
Parce que nous sommes enseignants, nous avons eu plusieurs conversations au sujet du système scolaire secondaire et universitaire en Grèce. Nos interlocuteurs cherchaient des points de comparaison et nous livraient leur ressenti sur les systèmes grec et français.
Nous avons appris que la plupart des familles paient des cours privés et ce, dès l’école primaire. Une interlocutrice nous a dit que « dans une famille de la classe moyenne qui a deux enfants au lycée, un salaire passe en cours privés, ça coûte de 600 à 1000€ par mois ». Ces mêmes parents s’interrogent sur ce qu’ils considèrent comme un manque d’ambition des enseignants, une mère d’élève nous dit « mon fils qui est au collège est très fainéant, il va avoir du mal à faire des études supérieures si ça continue, mais il ne travaille pas. Mon fils n’est pas un « élève à 10 », c’est un 7, mais il a 10 tout le temps « pour ne pas le décourager » d’après son professeur ; mais cela l‘empêche de travailler, il ne voit pas où est le problème ! » (10 est la note maximale en Grèce).
« Les Grecs ne se sont tout simplement pas interrogés sur l’éducation nationale ». Après Cette introduction pessimiste, la Consule de Patras nous confie que l’école primaire a cherché pendant des années, à ne pas fâcher les parents. « Cette illusion perdure pendant quelques années à l’école, avant le couperet au collège. Mais il est déjà trop tard ! »
Les cours s’arrêtent en fin de matinée et des écoles privées prolifèrent partout, les enfants y passent une bonne partie de leurs après-midi.
Ils commencent par prendre des cours de langues étrangères dès l’école primaire, cela semble une nécessité d’autant plus qu’on ne peut apprendre qu’une seule langue à l’école. Or, enfants et parents estiment que parler plusieurs langues est une nécessité parce que cela aide à émigrer, mais aussi à trouver du travail en Grèce. Leila a longtemps travaillé comme professeur puis directrice d’une école privée de langues. Elle a choisi de changer de métier lorsque la crise a affecté gravement son entreprise. Gastouni a plusieurs écoles qui ne pouvaient plus toutes fonctionner à plein. Sa fille continue à donner des cours.
Au collège, puis au lycée, les enfants enchaînent avec les cours d’autres disciplines, la liste augmente avec la perspective du concours d’entrée à l’Université, indépendant de l’examen de fin d’études secondaires, et plus difficile. Les jeunes nous ont dit le souvenir atroce qu’ils gardent de cette préparation où on apprend par cœur les manuels (en Grèce, il y a un manuel national pour chaque discipline ; l’Etat organise un concours entre les éditeurs puis sélectionne un ouvrage qui reste utilisé pendant 5 ans, sauf réforme en cours de contrat) et les écoles privées organisent des tests à répétition.
Ce système favorise à la fois des apprentissages peu contextualisés et peu réutilisables en classe, mais surtout nos interlocuteurs semblent avoir perdu confiance dans le système d’enseignement.
Certains nous ont dit qu’ils avaient le sentiment que les professeurs travaillaient plus pour les élèves des cours privés que pour leurs classes (en effet de nombreux profs à la recherche de revenus plus élevés – se souvenir que les fonctionnaires grecs ont subi une baisse de salaire de 50% en moyenne – sont aussi présents dans les cours privés, avec la précaution de s’éloigner géographiquement pour éviter de croiser leurs élèves), mais surtout que tout ceci déstabilisait le pays en ce sens que l’école ne jouait plus son rôle de ciment de la société, et là, ils avaient en tête l’idée que l’école est le ciment de la société française.
Cliquez pour voir le reportage d’Euronews sur le système éducatif en Grèce (2016-10min)
Le chomage des 24-30 ans atteint encore aujourd’hui 33%, selon Pandelis Kiprianos, le conseiller éducation auprès du Premier ministre, rencontré à Patras.
3/4 des 45000 jeunes qui migrent chaque année sont très diplômés. Exemple : de nombreux jeunes médecins partent en Suède, Suisse, Allemagne, Royaume-Uni. Cette une véritable saignée pour la dynamique de la Grèce qui souffre évidemment d’autres maux, actuellement.
Face à ce tableau, nous avons souhaité observer concrètement la situation de l’école dans les campagnes.
2. Exemple concret d’un établissement professionnel en milieu rural
Le directeur de l’établissement, M. Konstandoulas
Nous sommes accueillis au début de notre séjour par le directeur de ce qui pourrait être l’équivalent d’un LPA. 250 élèves suivent des formations en production agricoles et paysagistes ainsi que celles menant aux carrières médico-sociales, à la comptabilité et au tourisme. Cependant, ici, différence de taille avec nos établissements : pas d’internat ni même de cantine ; il est vrai que les cours ont lieu le matin (de 8h20 à 13h30). Autre chose : ne cherchez pas de secrétaire, c’est le directeur qui s’occupe de tout! Ingénieur informaticien et en mécanique, un master de pédagogie en poche, Kostas Konstandoulas entame sa 6è année en tant que directeur. 28 ans au service de l’éducation nationale, il est assisté uniquement de 2 adjoints et encadre 38 professeurs, tous fonctionnaires. Il doit en outre enseigner lui-même de 2 à 6 heures par semaine. Avec un salaire de 1400 euros – 1000 pour ses collègues -, il a mené, pour faire face à la crise, un diagnostic du territoire sur lequel rayonne son établissement : seul lycée public proposant ce type de filières dans le département – dispensé de concurrence privé qui privilégie les territoires urbains-, il prend conscience de son potentiel. 90% du territoire propose des débouchés agricoles, 5% pour le tourisme et 5 % concernent toutes les autres formations. Il sait alors que ses formations services à la personne par exemple sont ainsi moins légitimes. C’est pourquoi, il a fait en sorte de développer dernièrement les formations espaces verts (effectif aujourd’hui de 110 élèves dont 30% de filles). 80 élèves sont scolarisés dans le médico-social (90% de filles) et 60 dans les formations comptable/tourisme (50 % de filles). Avant ce diagnostic, les deux dernières filières dominaient largement l’effectif total mais le lycée ne comptait alors que 70 élèves.
Peu soutenu par le ministère de l’agriculture – mais rappel : pas d’écoles sous sa tutelle -, il a été conseillé dans cette démarche par l’équivalent d’un IUT agri. Le directeur a surtout compris l’importance des débouchés sur le territoire pour ses élèves. Sur une échelle nationale, il reste à tisser d’autres liens : il nous confie qu’aucun centre public ne dispense l’hôtellerie en Grèce (sauf pour être réceptionniste), alors que ce pays figure parfois dans les 20 premiers pays touristiques mondiaux et qu’il y a de nombreux candidats.
K. Konstandoulas nous évoque ensuite les programmes de ces formations. Pour synthétiser son propos, les élèves ont 12h00 par semaine d’enseignement général et 23 heures d’enseignement professionnel. Surprise ! Pas de géographie dispensé à ces niveaux – cette matière est enseignée essentiellement à la faculté et encore : uniquement sur l’île de Lesbos -, sauf peut-être dans des modules professionnels pour le tourisme essentiellement (ou alors une sorte de géographie environnementale dans les lycées généraux).
Ce sont les universitaires qui rédigent les programmes et ceux-ci ont changé 6 fois en 10 ans. Nous nous sommes procurés un manuel d’histoire dans une librairie : l’absence d’illustration est surprenante (Merci à Nikki pour la traduction du programme HG en classe de terminale).
Nous terminons par une visite de lieux choisis par le directeur : 2 classes (aide médicale et petite enfance), serres et terrain pour les TP d’aménagements paysagers (mais les terres sont caillouteuses). Le terrain de football, lui, est bien arrosé. Nous découvrons, enfin, dans le gymnase, une séance de danse folklorique.
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Couloir du lycée
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Salle de classe (aide médicale)
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Salle de classe (petite enfance)
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Couloir du lycée
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terrain TP aménagement paysager
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Verger et serre
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Serre du lycée
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Terrain de football du lycée
3. Les espoirs
Pandelis Kiprianos, nous l’assure : l’éducation est une priorité pour le gouvernement. Il faut faire en sorte de réduire, voire de retourner la courbe migratoire des jeunes dans ce pays. Pour cela quelques mesures : 3000 bourses universitaires supplémentaires chaque année -même si cela reste largement insuffisant, 15 millions d’euros d’investissement pour le numérique à l’école -le plus grand projet actuel du ministère-, des projets de création de chaines télévisuelles thématiques et éducatives. Il insiste surtout sur le fait de s’interroger sur les valeurs : les programmes scolaires seront clairement proeuropéens, des actions citoyennes sont petits à petit mises en place – sensibilisation sur le recyclage par exemple-.
Vous pouvez écouter l’interview de P. Kiprianos (thématique migration des jeunes : de la minute 11 à la minute 15 / celle de l’éducation : minute 37 à la minute 47).
Autre espoir, la mobilité Erasmus proposée également dans les campagnes. Dans l’école visitée, le directeur nous a exposé les choix des élèves : la région de Bordeaux est le territoire français choisi car il ressemble à celui qu’ils connaissent. Il n’est pas question de les envoyer en région parisienne : cela leur ferait perdre leurs repères.
Cette école a accepté, comme d’autres établissement volontaires, une expérimentation proposée par l’État à la rentrée 2017 : celle d’une quatrième année au lycée, sorte de tampon entre la terminale et l’enseignement supérieur, sous la forme que nous connaissons en France de formation par alternance. 30 ans que ses partisans le réclamait. Il se décline de cette manière : 4 jours en entreprise et 1 jour à l’école, et même si les chefs d’entreprise ne comprennent pas encore le système, les jeunes, eux, saisissent cette opportunité. Pour preuve dans le lycée visité : 32 des 40 bacheliers ont choisi de poursuivre dans ce nouveau dispositif.
Ainsi, le système éducatif bouillonne d’idées et de projets. Si l’urgence est de faire en sorte de résorber les départs des diplômés, les Grecs continuent leurs promotions pour attirer des étudiants étrangers.